« Le poids des ans se fait de plus en plus sentir et je sais que je ne tarderai pas à rejoindre l’étreinte de la Mère. Elle décidera de ce qu’il convient de faire de moi et peut-être m’éveillerais-je à nouveau dans la peau d’un homme, ou bien, si Elle me juge méritant, sous les traits d’un de ses enfants les plus aimés. Quel que soit le sort qui m’attend, cette existence-ci a été bien remplie.

Je suis sans doute l’un des derniers encore vivants à avoir eu la chance de voir l’un des messagers qu’Elle envoyât nous porter Son pardon. Les enfants d’aujourd’hui n’ont pas vécu les temps de Sa Colère. Ils ne peuvent se souvenir de la peur omniprésente, de la douleur, de la faim et de la maladie qui en emportaient tant. Ils n’ont pas à redouter la mortelle contagion qu’apportait presque toujours l’étranger. Et j’en suis heureux. La Mère nous a offert le droit de renaître et de mériter à nouveau le nom d’Homme. Qu’Elle en soit remerciée. Plus jamais nous ne nous détournerons de Sa Voie. Je l’espère du moins. Elle nous a accordé une seconde chance. Nous n’en aurons pas de troisième.

Ceux qu’Elle choisit alors portèrent Sa Volonté et Son Pardon, et sur leur passage, j’ai vu le mal noir régresser. J’ai vu les souffrances s’apaiser tandis qu’ils parlaient du renouveau. Aujourd’hui la maladie n’est plus qu’une vague histoire que racontent les plus anciens. Les jeunes ne peuvent imaginer combien elle dominait nos vies. La mémoire pourtant perdure. Ainsi en avons-nous décidé.

Nous, qui avions été élus par la Mère, avons fondé le Temple pour permettre aux hommes de vivre en harmonie selon Ses Préceptes, ainsi que pour les guider. Nous avons établi des règles simples pour que tous puissent exister sans contrarier Sa Volonté. Elle nous a enseigné à concevoir des barrières pour protéger les villages, mais également la tempérance. La leçon fût rude mais nous savons que nous n’avons pas le droit à l’erreur. Elle ne nous pardonnera pas si nous tentons à nouveau de nous emparer d’Elle.

Les communautés des hommes vont par quatre désormais, semblables aux quatre mois des saisons. Un Sanctuaire où vivent les membres du Temple protége ces communautés et les guide sur la Voie. Selon la volonté de la Mère, nous ne donnons naissance que lorsque les temps sont propices. Cela permet à chacun des villages d’exister côte à côte, sans qu’aucun ne menace de submerger les autres. Les enfants les plus prometteurs nous rejoignent très tôt et deviennent également des guides pour tous lorsque nous les initions aux Secrets de la Mère. C’est un grand honneur que d’être choisi et nous portons le poids de cette responsabilité. Nous sommes les gardiens et les protecteurs des hommes, garants de leur conduite aux yeux de la Mère.

Certaines communautés n’ont pas voulu suivre ces règles. Nous avons refusé de prendre le risque d’offenser la Mère. Les fruits gâtés ne doivent pas menacer l’arbre. Nous avons dû couper la branche. Pour cela, les plus proches de la Mère ont fondé Sa Main, et il a fallu par de nombreuses fois qu’ils purifient ceux qui devaient l’être, ces temps étaient durs. Pour guider les hommes, la patience et la bonté ne suffisent pas. La Main, ou les Crocs comme nous les appelons, œuvrent toujours et sont les plus fidèles servants de la Mère. Tant qu’ils continueront à veiller à ce que nul homme ne se dresse contre Elle, nous ne risquerons plus Sa Colère. Le souvenir de celle-ci perdurera. Nous le transmettrons au travers des générations afin que nul ne l’oublie. Que nul ne tente plus d’empiéter sur Ses territoires. Que nul ne s’oppose à Sa Volonté. Nous n’oublierons pas. »

Extrait du journal du Taman Lucian, deuxième Ollam du Sanctuaire de l'Arbre Crochu


Une communauté marquée par le souvenir d’un Châtiment

On dit qu’autrefois, les hommes dominaient la Terre. C’était avant que la Mère ne se réveille et dans Sa colère face à leurs crimes multiples ne se décide à les punir. Le Châtiment, comme on l’appelle aujourd’hui, dura plusieurs générations et décima la population humaine. La faim, la violence et les maladies ont exterminé des populations entières, les rares groupes de survivants qui se croisaient se contaminant mutuellement.

Son courroux apaisé, Elle envoya des émissaires porter Son pardon aux survivants. En signe de rémission, Elle délivra les hommes des maux qui les accablaient. Ils furent néanmoins prévenus que plus jamais ils ne devraient dévier de Sa Voie.

Ces élus fondèrent une nouvelle société dans le respect des volontés de Mère Nature. Certains choisirent de se vouer à Elle. Ils battirent des Sanctuaires qui avaient pour tâche de veiller à ce qu’un équilibre soit conservé entre les communautés humaines et la Mère, de servir d’intermédiaire auprès d’Elle et de veiller à ce que les villages ne répètent plus jamais les fautes qui ont mené au Châtiment. On dit que ses plus ardents défenseurs, rassemblés au sein de la Main de la Mère, possèdent d’étranges pouvoirs et que nul ne peut leur tenir tête.

Les derniers humains répartis en Domaines sous l'égide de la Mère

Le Domaine abrite environ deux milles rescapés du Châtiment unis par leur croyance et leur respect de la Mère. Au centre, le Sanctuaire s'assure de l'équilibre des communautés humaines dans les quatre villages qui l'entourent. Les hommes vivent ainsi en paix au rythme des saisons, si bien que chaque village s'est octroyé le nom de l'une d'entre elles.

Des villages en autarcie

Les habitants ne savent que peu de choses des autres villages. Parfois, le seul marchand du Domaine apporte quelques nouvelles, ainsi que des marchandises selon les besoins du village. Selon les rumeurs, il faut bien une semaine de marche pour traverser le Domaine, mais quitter le village sans protection est terriblement dangereux. Nul ne voyage sans la protection de la Mère et l'accord du Sanctuaire, la Nature ne le permettrait pas. Les légendes de villageois retrouvés morts dans la forêt, éliminés par les fauves qu'ils ont cru pouvoir affronter, ne manquent pas.

Les humains ne sont plus les bienvenus sur les terres de la Mère depuis le Châtiment. Seul le Temple est en mesure de lui faire accepter l'édification d'un village, en un lieu donné et d'une population rigoureusement limitée par les ressources que la Mère accepte d'octroyer aux hommes.

Les Tamans du Sanctuaire entretiennent scrupuleusement les barrières de protection qui délimitent les villages afin que les prédateurs ne s'en prennent pas aux humains qui vivent sous l'oeil de la Mère. Ceux qui sont contraints de sortir pour une quelconque raison ne peuvent le faire que grâce à des barrières de protection mobiles, s'ils ne veulent pas avoir à affronter la faune et la flore dans toute leur sainte sauvagerie.

Le destin des enfants

Un Taman du Sanctuaire se charge de l'instruction des enfants jusqu'à leurs douze ans. Les plus méritants sont envoyés à leur dix ans étudier à la Demeure de la Mère pour servir plus tard dans les Sanctuaires, ou même, pour les meilleurs d'entre eux, pour perpétuer la sainte mission du Temple de la Mère.

Tous les ans, le Kallam passe chercher les enfants sélectionnés pour se rendre à la Demeure de la Mère et délivrer les autorisations de naissance aux fervents serviteurs du Temple. Sa visite est également l'occasion de formaliser une demande de changement de village, qui ne sera acceptée que si un autre village est prêt à vous accueillir.

Le Sanctuaire, centre spirituel du Domaine

Vaste bâtisse de pierre abritant quatre-vingt Tamans dévoués à la Mère, le Sanctuaire s'élève au centre du Domaine, à la rencontre du fleuve et de la mer. De nombreux villageois n'y ont jamais mis les pieds, mais des délégations y sont invitées quand les Tamans le jugent nécessaire. L'objet de ces réunions est habituellement la répartition des ressources du Domaine.

Premiers parmi les représentants de la Mère, l'Ollam, le Ballam et le Kallam veillent sur le Domaine. Ils sont les dépositaires du pouvoir du Temple sur le Sanctuaire et tous leur vouent un grand respect. L'Ollam est le référent pour toutes les affaires religieuses, le Ballam est en charge de l'organisation du Sanctuaire et le Kallam s'assure du bon fonctionnement des villages.

Sous les ordres du trio dirigeant, le Lébérou est en charge des communications par pigeon tant entre le Sanctuaire et les villages qu'avec la Maison de la Mère. Le Gabellou s'occupe quant à lui de percevoir les dons des villages pour le Temple et de gérer l'intendance du Sanctuaire. Enfin, les Tamans œuvrent aux différentes tâches nécessaires à la vie profane et spirituelle du Domaine.

Un Taman médecin et un Taman professeur sont envoyés vivre dans chaque village pour veiller à l'éducation des enfants et à la santé des habitants. Le Taman professeur est également en charge des communications par pigeon entre son village et le Sanctuaire.


Le Village de l'Hiver

L’Hiver, plus rigoureux et droit que les autres saisons, est sous la responsabilité d’un maire choisi à vie parmi la caste dirigeante : la noblesse.

Situés en fond de vallée, au pied de pentes abruptes, les enfants de l’Hiver savent ce que signifie la marche en montagne. Ils ont su profiter de la proximité de grandes carrières de pierre pour bâtir durablement. Le village, construit en pierre, se situe sur une butte, évitant ainsi les crues du printemps lors de la fonte des neiges. Les champs se situent au bord du torrent qui traverse la vallée ainsi que sur l’un de ses flancs, aménagé en terrasses. La terre est ingrate, mais la population réduite à deux cent cinquante âmes limite les besoins.

Les Enfants de l’Hiver sont répartis en trois ordres : la noblesse, les artisans et les mineurs. Les nobles sont les chasseurs. Ils ont la charge d'approvisionner en viande le village et risquent quotidiennement leur vie lors de longues chasses en altitude, hors des limites protectrices du village. Mourant souvent jeunes, eux seuls ont le droit de porter une arme. Les fourrures qu’ils arborent fièrement sont autant de trophées transmis à leurs héritiers avec les récits de ces chasses.

Les artisans sont les plus nombreux au village. Ils se chargent à la fois de la transformation des ressources minières, des réparations et constructions du village et de l'agriculture. Leurs talents sont bien souvent éclipsés par les réalisations des Enfants du Printemps, sauf en ce qui concerne le métal dans lequel leur savoir-faire est reconnu. On reconnaît un travail de l’Hiver par sa solidité et ses aspects éminemment pratiques et efficaces, mais on ne pourra jamais lui reprocher d’être superflu.

Enfin les mineurs, la plus basse caste de cette société, risquent chaque jour d'être ensevelis sous les roches glacées pour récupérer le précieux minerai qui est ensuite utilisé dans tout le Domaine.

De solides traditions encadrent la vie de l’Hiver. Une vie dure, tout comme ses habitants qui savent ce que survivre veut dire.


Le Village du Printemps

Une plage de sable brun s'étend au sud du village. Plus loin, dans la mer, des récifs rocheux rendent la navigation difficile. Ils abritent aussi de nombreux poissons et crustacés qui font la richesse du village du Printemps. À l'est, des champs recouvrent le sol jusqu'à l'épaisse forêt qui englobe l'horizon.

Abritant pas moins de six cents personnes, le village est composé de maisonnettes en bois artistiquement arrangées en cercle autour de la plus grande maison de la ville : le Conseil des Guildes. La plupart des maisons ont des formes arrondies et agréables à l’œil, et aucune n'est semblable. C’est un village d'artistes : malgré des matériaux simples et primaires, les habitants ont su donner à leur village un indéniable attrait. Au sud, des cabanes abritent les bateaux, fierté du village. Ce ne sont que de grandes barques de quatre ou cinq mètres de long, mais elles possèdent toutes une figure de proue finement ouvragée et un nom est gravé sur leur coque.

Le Village du Printemps est reconnu dans tout le Domaine pour ses marins-pêcheurs et ses artisans talentueux, ainsi que pour ses mœurs légères et libérées. Le printemps coule dans leurs veines. D’une nature chaleureuse, ils ne se montrent pas farouches avec les étrangers. Ils sont toujours heureux de leur faire découvrir des plaisirs inconnus... Du moins, en dehors de relations commerciales, bien entendu.

Le village est dirigé par un conseil de quatre Maîtres de Guilde, mais les décisions qui relèvent d'une Guilde elle-même sont prises en interne. Dans les foyers mêmes, on retrouve cette douce ambiance communautaire, car pour ne pas risquer qu'un enfant se retrouve à l'abandon, chaque foyer est composé de quatre adultes qui éduquent une flopée de jeunes.

Un bonheur parfait. Du moins, en apparence...


Le Village de l'Été

En arrivant sur les lieux, on ne voit qu’une grande plaine parsemée d’arbres immenses. La faune y est aussi menaçante qu’abondante, composée de grands prédateurs et de gros ruminants non moins dangereux. Là où devrait se trouver le village, vit un grand troupeau de bisons, accompagné de diverses autres espèces herbivores. Les hommes se trouvent au dessus.

Les arbres géants abritent des demeures de bois plutôt confortables et reliées entre elles par des ponts de corde. Les bisons qui vivent autour de leurs arbres leur servent autant de protecteurs que de montures. De nombreux autres herbivores ou frugivores profitent de la sécurité accordée par le troupeau et des restes de nourriture de la tribu. Certains sont à moitié sauvages, d'autres sont les compagnons des habitants du village de l'Été… Du moins de ceux qui ont eu la chance de rencontrer leur Totem !

Lors de son passage à l'âge adulte, chaque enfant participe à une étrange cérémonie qui permet, selon le Shaman de l'Été, de déterminer son Totem. Il s’agit de l’esprit animal qui veillera et guidera l’individu durant le reste de sa vie. Tous n'ont pas eu la chance de le rencontrer physiquement… Mais ceux qui y parviennent gagnent l'estime des Anciens du village.

Les Anciens veillent sur le village, distillant leur sagesse aux nouvelles générations. Ce sont eux qui s'occupent des enfants jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge adulte, et qui prennent les décisions importantes pour les quatre cents habitants du village.

À l’aise dans les arbres, les Enfants de l’Eté vivent principalement de la cueillette. Sous ses aspects idylliques, la vie du village est loin d'être aisée car bien qu'abondantes, les ressources sont toujours dangereuses à obtenir.


Le Village de l’Automne

Situés à côté des marécages de l'estuaire du fleuve, les habitants du village de l’Automne ont su s’adapter à des terres de prime abord défavorables et se faire un allié de ces marais qu’ils apprirent à aimer.

La partie inondée la plus proche du village fut réaménagée en rizières fertiles. Une part des marais, riche en poissons d’eau douce, fut aménagée en grands viviers assurant un apport fiable en poissons. Les nombreux oiseaux leur permettent de diversifier leur ordinaire par de savoureuses volailles. Ils ont sur également tirer profit de leur environnement et le premier apprentissage de tout enfant de l’Automne consiste bien souvent en de longues expéditions à la recherche d’herbes aromatiques qui feraient le délice et la renommée du village.

L’artisanat s'est développé autour du marais également et des matières qu’il fournit en abondance : l’osier, l’argile, et surtout l’incroyable diversité animale et végétale fournie par cette terre. La vannerie et la poterie sont reconnues comme souvent audacieuses et dont l’esthétique peut parfois rivaliser avec celle des Enfants du Printemps.

Habité par sept cent rescapés du Châtiment, l'Automne est le village le plus peuplé du Domaine. La vie y est aisée et la nourriture ne manque jamais. Les rizières permettent d'ailleurs de ravitailler en céréales d'autres villages moins bien lotis.

Mais… cela n’est plus. La Mère les a renvoyés à la terre. Du moins, c’est ce que l’on vous a dit...


Lexique

Le Châtiment : Nom donné par le Temple à l'Apocalypse qui a ravagé le monde.
Demeure de la Mère : Centre Spirituel de la religion qui domine le monde depuis le Châtiment.
Temple : Culte de la Nature régi par la Demeure de la Mère.
Main de la Mère : Soldats de la Demeure de la Mère.
Sanctuaire : Édifice religieux propageant la religion du Temple.
Domaine : Secteur géographique comprenant des villages dirigés par un Sanctuaire.
Ollam : Dirigeant spirituel d'un Domaine.
Kallam : Dirigeant matériel d'un Domaine (à l'exception du Sanctuaire).
Ballam : Dirigeant matériel d'un Sanctuaire.
Gabellou : Percepteur d'impôts du Sanctuaire.
Lébérou : Maître des pigeons du Sanctuaire.
Taman : Moine du Temple travaillant dans les Domaines.